Avant-propos
En posant les premiers jalons de ce que doit être SIMPLIC-IT-Y, notre réflexion a d’emblée mis l’humain au centre de la démarche. Par humain nous entendons ici le comportement proprement dit de l’utilisateur face à la machine, avec tout ce que cela implique.
Nous sommes ainsi faits : nous rejetons presque instinctivement ce que nous ne connaissons pas et l’inconnu nous fait peur…
Nous sommes donc partis en quête de compréhension du comportement de l’utilisateur d’ordinateur, et des TIC de manière plus générale. Un nom et un ouvrage se sont rapidement imposés à nous : Sophie Lambolez, « Dites donc il fonctionne pas ce machin », Paris, L’Harmattan, coll. « Figures de l’Interaction », 2016.
De quoi s’agit-il ?
Dans son avant-propos, l’auteure explique :
« Cet ouvrage fait suite à un travail de thèse dont il en reprend de nombreux passages (Lambolez, 2009). Il est à considérer comme une contribution à l’analyse des situations de travail à distance, dans une perspective psychosociale. Il porte, en particulier, sur l’étude de situations d’assistance-dépannage informatique, et notamment d’interactions, par téléphone, entre experts/expertes et utilisateurs/utilisatrices. » [1]
Dans quel contexte ?
Après avoir passé six mois dans une entreprise suisse, à raison d’une semaine par mois, ainsi que dans une autre société située en France pendant deux mois, elle y a analysé le fonctionnement et les interactions susnommées.
Voilà une démarche intéressante que peu de personnes ont entamés si nous nous en tenons à nos recherches sur le sujet … Surtout s’il est écrit par une psychologue et experte en psychologie sociale de la communication, observateur et neutre par rapport aux protagonistes.
Morceaux choisis
Même si pour nous il n’est plus question d’uniquement résoudre des problèmes liés à une infrastructure informatique ou des progiciels mais bien de transmettre un savoir, une expérience, une culture des TIC, il me semblait intéressant de lire un ouvrage traitant de cette relation car j’y vois bien des similitudes avec notre métier actuel.
Il ne s’agit pas non plus de commenter l’ouvrage mais d’amener un regard complémentaire sur certaines observations effectuées par l’auteure dès lors que nous avons été amenés de par le passé, à effectuer du support informatique par téléphone.
Sophie Lambolez poursuit :
« J’ai également remarqué qu’il existait, si on peut dire ainsi, « deux catégories » de clients : ceux qui s’intéressent à l’informatique, qui osent manipuler, essayer, tester, qui sont même à l’aise avec les logiciels ; d’autres, au contraire, qui ne s’y intéressent pas, qui n’osent pas trop sortir d’une utilisation de base, quotidienne (voir routinière) des logiciels, et qui utilisent un pourcentage très faible de leurs potentialités. Les uns comme les autres appellent l’assistance : les premiers parce qu’ils sont souvent allés un peu loin et on fait des erreurs, les seconds dès qu’ils rencontrent des choses un peu inhabituelles ou pour faire certaines manipulations un peu plus « spéciales » qu’ils auraient sûrement pu faire, seuls, en lisant le manuel. » [2]
Alors que le niveau de connaissance informatique dans les entreprises est disparate, certains tirent néanmoins leur épingle du jeu : par exemple les comptables excellent souvent … avec le programme Excel (c’est le cas de le dire !).
Mais combien d’utilisateurs ne sont pas envoyés en formation de progiciels complexes alors que des connaissances plus élémentaires ne sont pas acquises ?!
Voici un exemple symptomatique cité par l’auteure :
« L’extrait qui suit propose un exemple d’auto-reformulation :
(…)
E36 underscore le tiret du 8 si vous préférez
(…)
L’experte, alors qu’elle guide son interlocuteur, veut lui faire inscrire l’underscore : le tiret «_». Elle reformule aussitôt « underscore » en « tiret du 8 » pour signifier précisément à son interlocuteur que c’est bien le tiret qui se trouve sur la touche du 8 (sur un clavier français) et non celui qui se trouve sur la touche du 6 (ou tiret -). » [3]
Cela peut sembler être de l’ordre du détail mais il est dommageable qu’un utilisateur continuellement derrière un PC ne connaisse pas un caractère de clavier autant utilisé ! Et il existe une kyrielle de « détails » comme celui-là qui reviennent régulièrement.
Prenons l’hypothèse d’une entreprise qui a pu négocier un forfait avec un prestataire informatique pour son support, ce qui est loin d’être toujours le cas. De toute façon, le seul fait qu’un utilisateur soit accaparé par une conversation de support est déjà une perte en soi puisqu’il y a absence de productivité de ce dernier pendant cette conversation. Si en plus l’expert doit reformuler par manque de connaissance de son interlocuteur, le temps nécessaire à la résolution s’allonge … le coût aussi. Il est clair ici que je prêche pour ma chapelle mais c’est une réalité que personne ne pourra contredire …
Comme l’explique l’auteure, le support téléphonique nécessite une double compétence :
« Il apparaît, à l’analyse des conversations, que les experts en dépannage informatique ont bien une double compétence (ensemble de savoirs et savoir-faire) : une compétence technique (un savoir dans le domaine, informatique en particulier) et une compétence en communication (ou relationnelle) qui n’est pas liée au domaine et qui concerne, à la fois, le décodage de la demande, la formulation des questions et des relances, la capacité à transmettre les notions, indications ou explications complexes à leur interlocuteur. » [4]
La compétence en communication (ou relationnelle) est à mon sens prédominante. Si la résolution technique est au rendez-vous dans la grande majorité des cas c’est surtout la personne au bout du fil qu’il faut gérer, rassurer tout au long du processus. Même dans la situation la plus favorable pour l’expert (celle où il peut prendre le contrôle à distance de la machine et donc voir le même écran que l’utilisateur), assister quelqu’un n’est pas simple : la personne de l’autre côté de la ligne est souvent stressée, nerveuse et risque de rendre l’intervention plus délicate.
Revenons à l’auteure :
« Le lien entre l’utilisateur et sa machine est spécifique, en particulier lors d’un dysfonctionnement ou d’un blocage (elle l’empêche de continuer son travail, elle lui fait perdre son temps…). Et les utilisateurs ont tendance à attribuer à leur machine de nombreuses caractéristiques humaines, notamment en termes d’états mentaux, d’intention, de qualités et de défauts (plus souvent en termes de défauts lors d’un dysfonctionnement). Ils la personnalisent. D’ailleurs elle est souvent décrite de façon subjective voir péjorative, en cas de problème, par l’utilisateur (« ouais remarquez s’il [ordinateur] est comme moi il est peut-être bien fatigué » ; il [l’ordinateur] a senti que je téléphonais je parie » ; « Elle [l’imprimante] n’accepte pas les travaux d’impression qui sont quand même inscrits si vous voulez dans l’ordinateur ouais c’est elle qui refuse de les recevoir [les travaux d’impression]).
Il semblerait même, pour certains utilisateurs, que cette proximité ou relation privilégiée avec leur machine soit « contagieuse » : la machine ne fonctionne pas bien ce matin, ceci a des conséquences sur la personne qui l’utilise (nervosité, angoisse), ou inversement, l’utilisateur est fatigué, pas très motivé à travailler et comme par hasard… l’ordinateur ne veut pas s’allumer. » [5]
La relation entre l’homme et l’ordinateur relève parfois du mystique, de l’irrationnel :
« il [l’ordinateur] a senti que je téléphonais je parie » laisse entrevoir que le problème s’est résolu par le simple fait d’avoir l’expert en ligne et qui n’a donc constaté le moindre dysfonctionnement. Nous ne comptons plus, dans notre pratique, les situations pour lesquelles il n’y a pas toujours d’explication possible pour des cas de résolution « spontanée ». Nous avons souvent une hypothèse tout à fait valable sur ce qui a pu se passer dans pareille situation mais rarement l’occasion de pouvoir la vérifier.
L’auteure explique très bien pourquoi :
« Les experts auxquels je me suis intéressée ont pour mission de résoudre le problème que leur amène l’utilisateur (en un minimum de temps) sans toutefois lui apprendre à savoir le faire seul. » [6]
« Je remarque aussi que les utilisateurs s’en contentent et ne demandent habituellement pas de détails lors du dépannage ; ceci est principalement dû au manque de temps : l’un comme l’autre, les protagonistes n’ont pas le temps de s’attarder. » [7]
Conclusion
La situation de support n’est pas propice à l’explication, à une approche pédagogique qui nécessite de la sérénité. Dans bien des cas, c’est la loi de Murphy qui s’applique : l’utilisateur appelle alors qu’il est en plein rush et toutes minutes perdues à autre chose que son travail engendre de la nervosité. On pourrait aussi rajouter le sentiment de perte de contrôle, l’incapacité ressentie de l’utilisateur d’être face à une situation vis-à-vis de laquelle il se sent impuissant et qui rajoute une couche de stress supplémentaire.
En tant qu’anciens professionnels du métier, la lecture de ce livre nous a permis de renforcer certaines convictions ou en remettre en cause d’autres …
Encore un tout grand merci à Sophie Lambolez de nous avoir consacré du temps pour répondre à nos questions !
Notes de bas de page
[1] Sophie LAMBOLEZ, « Dites donc il fonctionne pas ce machin », Paris, L’Harmattan, coll. « Figures de l’Interaction », 2016, p. 15.
[2] Ibid., p. 64.
[3] Ibid., p. 147.
[4] Ibid., p. 157.
[5] Ibid., p. 165, p. 166.
[6] Ibid., p. 159, p. 160.
[7] Ibid., p. 160.